Macron, la diagonale des coups. Par Michaël Darmon
On devine l'enjeu du président français : ne pas rester le président des Jeux de Paris. Le coup de la vidéo envoyée au peuple libanais le 19 septembre participe de cette démarche.
Dans un roman captivant, "La diagonale des Reines", dans lequel deux championnes d'échecs livrent un combat où la vie et la mort sont en jeu, le romancier Bernard Werber fait constater en substance à l'un de ses personnages que les démocrates échouent désormais à renverser les tyrans. Les rois n'ont plus d'influence et masquent leur incompétence par la publicité qu'ils donnent à des propos inutiles. En observant l'échiquier macronien, les débats continueront d'alimenter les chroniqueurs et l'opinion : Macron aura-t-il été un roi visionnaire puis fait mat, un cheval s'emballant de sa case dans un fol galop ou un simple pion dans le grand affrontement entre la démocratie et ses ennemis ?
Sur l'échiquier international, le président français, perçu désormais depuis sa désastreuse dissolution comme "l'ingénieur du chaos" par les Français dans la dernière livraison du sondage IFOP publié par le Journal du Dimanche, semble réduit à évoluer dans une diagonale de "coups de com'", pour tenter de redorer un blason durablement entaché par cette décision inconsidérée venant d'un président prétendant incarner le camp de la raison.
Si l'on résume, Emmanuel Macron - après environ 60 jours sans gouvernement suite à la défaite numérique de son camp, la victoire incomplète de la gauche, la domination impuissante du RN et l'attrition de la droite - confie au néo-gaulliste Michel Barnier le soin de former un gouvernement dit de rassemblement. Résultat : près de 40 ministres issus d'un mariage baroque entre la droite conservatrice et les macronistes pragmatiques. 2024, année critique, qui a vu la droite fractionner le macronisme alors que depuis 2017 c'est le macronisme qui fracturait la droite.
Satisfait de son coup qui consiste à créer un alliage inédit de cohabitation gouvernementale entre les partis qui ont perdu les élections législatives, Emmanuel Macron se dirige vers le rituel de rentrée des grands de ce monde : l'assemblée générale de l'ONU à New York. On devine l'enjeu du président français : ne pas rester le président des Jeux de Paris. Ils ont certes été très réussis mais l'héritage ne profite aucunement à un Emmanuel Macron affaibli, toujours content de ses décisions, soumis à une "égologie" punitive pour la réputation de la France. À la tribune de l'ONU sont chaque année prononcés des discours dont personne ne se souvient, hormis leurs auteurs et les journalistes spécialisés. De plus, l'institution n'est plus que l'ombre d'elle-même, à l'image de son falot secrétaire général, tellement elle s'est discréditée depuis son engagement unilatéral en faveur des Palestiniens soutenant le Hamas et son hostilité à Israël depuis le 7 octobre 2023. Antonio Guterres est devenu "le sécréteur général" d'une hostilité sournoise à l'encontre de l'État d'Israël, qui en 1947 a pourtant été le berceau de la légitimité internationale de l'État hébreu.
C'est en préparant cette réunion qu'Emmanuel Macron a souhaité aborder la question de la reconnaissance par la France de l'État de Palestine. Celle-là même dont il disait au printemps qu'il fallait attendre le moment propice, après qu'un certain nombre de questions soient réglées. À cette époque, plusieurs pays européens et non européens annonçaient leur reconnaissance de la Palestine. La France avait adopté une voie somme toute raisonnable. Que s'est-il passé entre le printemps et l'automne : une dissolution ratée, au nom d'une chimérique clarification qui n'a cessé de produire un épais brouillard. Il est donc urgent pour le président français de prendre de la hauteur, et de tenter de se hisser sur le podium des discours à la tribune de l'ONU. À l'heure où ces lignes sont écrites, on ne connaît pas encore le fin mot de l'histoire car le Quai d'Orsay s'est opposé à l'Élysée sur ce projet de reconnaissance de la Palestine, jugé mal ficelé, à contretemps et ne valorisant pas assez la parole de la France dans la recherche d'une contrepartie.
Le président a besoin de donner des coups sur le fond afin de remonter à la surface. Peu importe le flacon pour peu qu'il soit possible de retrouver l'ivresse des cimes. Le coup de la vidéo envoyée au peuple libanais le 19 septembre participe de cette démarche. C'est une habitude chez Emmanuel Macron d'envoyer des cartes postales numériques. Cette fois, Emmanuel Macron a assuré : "Un chemin diplomatique existe, la France y travaille (...) La vérité chacun la connaît : personne n'a intérêt à l'escalade". Des paroles fortes qui assurément ont fait trembler les protagonistes... Mais ce n'est pas la banalité du propos qui retient l'attention : le président français est entouré des drapeaux français et libanais. Lors de son allocution à la télévision le 12 octobre 2023, quelques jours après le massacre perpétré par le Hamas dans le sud d'Israël, point de drapeau israélien. Pourquoi cette différence de scénographie ? Faut-il comprendre que lorsque le président français s'exprime à la télévision il parle à des citoyens mais s'il envoie - depuis l'Élysée - un message vidéo aux Libanais il se situerait dans une opération de marketing politique ? "Macron se croit dans les années 40. Il n'a pas eu un mot dans sa déclaration pour dire qu'Israël était attaqué...", fustige Avi Pazner, ancien ambassadeur d'Israël à Paris et fin connaisseur des arcanes diplomatiques françaises. Un autre expert de la phraséologie macronienne décrypte : "Emmanuel Macron est happé par le syndrome du sauveur qui vole toujours au secours de la victime pour l'extirper des mains du bourreau. Sauf qu'il ne sait plus qui est la victime et qui est le bourreau."
Les Israéliens, toujours enserrés dans la douleur du 7 octobre, tentent péniblement de leur côté de passer au 8 octobre, alors que le calendrier s'apprête à s'arrêter à nouveau sur cette date maudite. Pas question pour autant de bénéficier de mansuétude ou de tact : c'est cette période qu'aurait choisie le président français pour envisager la reconnaissance de l'État de Palestine. Une prise de position symbolique, vide de sens concret et qui ne rend pas service aux Palestiniens, tant ceux-ci doivent d'abord se défaire du joug mental du Hamas, avant d'envisager de construire une société pour leurs enfants enfin débarrassée de la haine d'Israël. À l'instar de l'Arabie Saoudite qui a décidé d'effacer des manuels scolaires toute mention hostile à Israël. Une démarche qu'aucun dirigeant français n'évoque ou ne salue. Il s'agit pourtant de la décision la plus importante depuis le 7 octobre 2023. Loin des messages égotiques destinés à masquer l'échec de la France à dépasser un rôle de pion sur l'échiquier du Proche-Orient.