"Le Maroc, Israël et les Juifs marocains" : une relation atypique racontée par Jamal Amiar
"Les accords d'Abraham ont permis une nouvelle ouverture culturelle et économique"
Le 10 décembre 2020, Israël et le Maroc annonçaient officiellement la reprise de leurs relations diplomatiques. i24NEWS a interviewé l’écrivain et journaliste marocain Jamal Amiar, à l’occasion de la sortie de son livre Maroc, Israël et les Juifs marocains, le 24 novembre. Un ouvrage qui met en lumière les coulisses de la relation entre les deux pays, restée très discrète pendant six décennies, et analyse de l'intérieur l'interaction entre le Maroc, Israël et les Juifs marocains sur le plan culturel, diplomatique, politique, religieux ou encore économique.
"Je me suis intéressé au judaïsme marocain et à la politique marocaine depuis 25 ans, j'ai même écrit mon mémoire de maîtrise sur les Juifs marocains et la politique marocaine à la fin des années 80. Puis, j'ai fait deux voyages en Israël et un séjour de recherche à l’Université hébraïque de Jérusalem. C’est également un sujet que j’ai toujours traité durant ma carrière de journaliste donc, quand le processus des accords d’Abraham a démarré, je me suis dit que c’était le moment ou jamais d’offrir un survol des relations israélo-marocaines, et de l’histoire du judaïsme marocain de ces 80 dernières années", a déclaré Jamal Amiar à i24NEWS.
Au fil du texte, l’auteur insiste particulièrement sur la singularité de la coexistence judéo-musulmane au Maroc ainsi que sur le rôle des Juifs marocains en Israël qui, après une intégration semée d'embûches, ont fini par se faire une place de choix.
Jamal Amiar aborde plusieurs grandes thématiques en 21 chapitres, dont le tandem Trump-Netanyahou, les rois marocains populaires en Israël, Benny Gantz à Rabat, l’assassinat de Rabin, l’alya, mais aussi les points faibles et paradoxes de la relation Israël-Maroc. Il mentionne également le fait que la coopération entre les pays a d’abord concerné les domaines de l’émigration et de la sécurité avant de s’étendre aux affaires et à la diplomatie.
"Je mets en exergue les liens entre les Juifs marocains, le Maroc et Israël. Il y a encore un siècle, à Essaouira, il y avait quelques dizaines de milliers d’habitants dont la moitié étaient juifs et il y avait 37 synagogues. En 1947-48, il y a environ 6 à 7 millions d’habitants au Maroc dont 300 000 Juifs. Je cherche à montrer que la communauté juive est présente dans tout le territoire marocain", a-t-il dit.
Dans un chapitre intitulé "Alya", Jamal Amiar relate l’émigration juive marocaine. "J’explique que cela n’a pas été facile d’être un Juif marocain en Israël. Le mauvais accueil qui leur a été réservé dans les années 50 a créé une forme de backlash (réaction brutale) culturel et, de ce fait, ils ont souhaité se réapproprier leur culture pour se défendre. La situation s’est ensuite améliorée avec la montée au pouvoir du Likoud et la création du parti Shas".
Extrait:
"À l’inverse, le respect des traditions juives au Maroc, le fait que le Maroc n’a jamais demandé à aucun Juif de partir et que des Juifs marocains partis, reviennent, le respect des lois hébraïques s’agissant des citoyens marocains de confession juive, les déclarations répétées et les assurances fournies par les rois du Maroc quant au caractère inviolable des droits des Juifs marocains, ont participé à la défense puis à la renaissance de la culture juive marocaine."
Jamal Amiar raconte que "les relations entre les autorités israéliennes et marocaines n'ont jamais cessé, car dès les années 50, il y a eu une diplomatie de l’alya et des contacts ont été établis, puis tout cela a été renforcé par la médiation avec le roi Hassan II, très apprécié en Israël. Les Marocains ont joué un rôle fondamental dans le rapprochement entre Israéliens et Égyptiens à la demande des deux parties, et c’est la même chose avec les Palestiniens pour les accords d’Oslo."
L’influence des accords d’Abraham sur le peuple marocain et les Juifs
Selon Jamal, les accords d’Abraham ont bien été acceptés par le peuple marocain, même s’il y a eu une opposition islamiste, qui perdure encore aujourd’hui. "Les Marocains ne disent pas que le Maroc fait partie des accords d’Abraham, ils se sentent différents des Etats du golfe, car ils ont une histoire avec Israël et les Juifs marocains", affirme-il.
En juillet dernier, le réseau de recherche Arab baromether publiait un sondage montrant que le niveau d’acceptation des accords entre Israël et le Maroc reste très faible en Egypte, par exemple. Les deux pays qui acceptent le mieux ces relations bilatérales sont le Maroc et le Soudan.
"Pour le Maroc, un tiers environ de la population y est favorable mais je pense qu’on se rapproche davantage d’une bonne moitié, on peut être satisfaits et optimistes quant au développement des relations au vu de ce qui s’est passé depuis les accords mais aussi bien avant avec Hassan II et Shimon Peres, la médiation marocaine après la conférence de Madrid (1991) avec les accords d’Oslo (1994) et la suite d’Oslo, car on oublie souvent que Madrid a mené à toute une série de réunions bilatérales entre Israéliens et interlocuteurs arabes sur plusieurs thématiques", explique l'auteur.
Une variété d’apports mutuels
La reprise des relations entre Israël et le Maroc a offert de nombreuses opportunités aux deux peuples qui enrichissent ainsi leurs Etats respectifs tant sur le plan culturel qu’économique.
"Les accords ont permis une nouvelle ouverture culturelle, les gens découvrent le patrimoine juif culturel marocain. Personnellement, j’ai eu la chance d’assister à des pièces de théâtre jouées par des troupes israéliennes à Rabat. En outre, le 30 novembre, la troupe du théâtre Habima de Tel-Aviv se produira à Rabat en arabe marocain. On découvre aussi qu’il y a des chanteurs ou chanteuses israéliennes d’origine marocaine comme Neta Elkayam et Lala Tamar qui remettent au goût du jour des classiques de la chanson populaire marocaine. Il y a même une chaîne Youtube consacrée aux relations Maroc-Israël depuis 2020. Toutes ces initiatives sont formidables", se réjouit Jamal Amiar.
D’un point de vue économique, cela rend possible la mise en place d’un large éventail de contacts et d’activités; le Maroc est très ouvert à l’investissement étranger et au commerce international. "Israël est une économie importante très orientée vers les nouvelles technologies appliquées à l’agriculture, à l’eau ou encore à la mobilité. Dans mon livre, je consacre un chapitre entier au fait que cette signature des accords à accéléré des projets que beaucoup de gens voulaient lancer. Tant pour les Israéliens que pour les Marocains, c’est la conquête d’un nouveau marché", assure-t-il.
"Israël abrite la deuxième plus grande communauté de Juifs marocains, on le sent quand on se rend dans le pays, la présence du Maroc se retrouve par petites touches, notamment en matière de gastronomie, de mode, de musique mais aussi de politique. Il y a une chose fondamentale à comprendre: contrairement à ce qui s’est passé dans beaucoup d'États arabes et même en Europe, il n’y a jamais eu de rupture entre l’autorité politique marocaine et les Juifs marocains, il n’y a jamais eu de faille, ni de manque de confiance. C’est une ligne droite et c’est assez rare et unique sur un plan politique. Même dans les moments compliqués de l’histoire, les Juifs marocains n’ont jamais été délaissés et la relation est restée intacte", conclut Jamal Amiar.
Né en 1960 au Maroc, Jamal Amiar a accompli des études de sciences politiques en France et aux États-Unis avant de travailler en tant que journaliste et d’enseigner aux États-Unis d’abord puis au Maroc. Son ouvrage sera publié en français et il l’espère prochainement, en Arabe et en Hébreu.
Caroline Haïat est journaliste pour le site français d'i24NEWS