Antisémitisme: "Il n'est pas normal de pouvoir dire 'sale juif' sur les réseaux sans être sanctionné" (Moché Lewin, conseiller du grand rabbin de France à i24NEWS)
"Il faut mettre en place une réglementation mondiale et favoriser le dialogue interreligieux"
Etoile jaune revisitée avec la mention ‘non vacciné’, pancarte listant des personnalités juives, slogans antisémites, comparaison du pass sanitaire aux lois nazies, stèle de Simone Veil vandalisée… Depuis plusieurs semaines, la France subit un véritable déferlement de l’antisémitisme.
i24NEWS a interviewé Moché Lewin, vice-président de la Conférence des rabbins européens et conseiller spécial du grand rabbin de France, pour comprendre comment la crise sanitaire qui secoue le monde depuis un an et demi a un impact direct sur la montée d’un antisémitisme criant.
Un antisémitisme caché derrière des messages subliminaux: le danger de l'antisémitisme 2.0
L’antisémitisme aujourd’hui ne nomme plus mais sous-entend. Selon Moché Lewin, ses auteurs sont donc davantage difficiles à juger car ils détournent l'antisémitisme par des allusions, au service d’une cause.
Sur internet, on assiste au phénomène de l'antisémitisme 2.0, la parole antisémite est relayée librement sans que les responsables ne soient condamnés, entraînant une augmentation des passages à l'acte.
La semaine dernière, Cassandre Fristot, enseignante et ancienne élue locale du Front national a brandi une pancarte mentionnant "Mais qui ?" suivi d’une liste de personnalités juives, lors d’une manifestation anti-pass sanitaire à Metz.
"Aujourd’hui, l'antisémitisme sur les réseaux sociaux crée des dégâts considérables. Avant, quand il y avait une pancarte antisémite dans les manifestations, seules les 20 personnes qui étaient autour la remarquaient, maintenant elle fait le tour de la toile en très peu de temps grâce à une photo et c'est très dangereux. En période de crise sanitaire et économique, on a une aggravation terrible de ce phénomène qui avait commencé il y a quelques années. On n'utilise plus forcément le mot 'Juif', mais on fait passer des messages antisémites," souligne Moché Lewin.
"Quand on rassemble des noms juifs ou présumés juifs sur une pancarte, c’est un antisémitisme masqué mais il a d'énormes répercussions. Leur but c’est de faire comprendre les choses sans les dire, et comme on est sur un fond de complotisme à propos des vaccins, quelques esprits fragiles y adhèrent," poursuit-il.
Selon Moché Lewin, cet antisémitisme à demi-mot peut aboutir à des actes violents, "comme ce fut le cas pour Ilan Halimi, torturé et tué car la rumeur selon laquelle les Juifs ont de l’argent avait été diffusée."
"Il n y a pas de sanctions, ce n’est pas normal de pouvoir dire 'sale juif' sur les réseaux sans être sanctionné, tandis que dans la rue ou devant des témoins on peut être poursuivi. Diffuser des contenus antisémites peut avoir un impact mondial, un Juif peut être tué en Afrique car il y aura eu ce message en France," a affirmé Moché Lewin.
Plus tôt cette semaine, le site "Ils sont partout" qui répertorie dans une cartographie différentes personnalités de confession juive ou présentées comme telles a créé la polémique avant d'être condamné par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.
"Cela m’a choqué, mais il y a déjà des sites qui classent les noms de personnalités juives laissant entendre qu’elles dirigent le monde. Les cibler pendant la crise sanitaire est évidemment encore plus dangereux car ils tiennent les Juifs pour responsables de ce qu'il se passe," a réagi Moché Lewin.
La banalisation de la Shoah
Depuis plusieurs semaines, les manifestations contre le pass sanitaire sont émaillées de slogans faisant référence à la Shoah et, de l’étoile jaune, portée par certains, qui servait à différencier les Juifs du reste de la population pendant la Seconde Guerre Mondiale. Ces comparaisons abjectes sont, selon Moché Lewin, "une surenchère de la provocation."
"La Shoah est le paroxysme de la dictature donc on utilise ce symbole pour montrer qu’en portant l’étoile jaune et en luttant contre le pass sanitaire on devient libre, et cela est terrifiant. Cette utilisation est malsaine et si nous laissons ce type de comparaison impunie, cela signifie que tout se vaut", a-t-il affirmé.
"Ils mettent sur un pied d’égalité, la vaccination qui est là pour sauver et la Shoah qui était là pour tuer. Ces personnes savent que les médias se tournent vers ces revendications: il faut provoquer sinon ça n’intéresse personne. C'est donc à l'ensemble des citoyens de réagir, sinon la société se perd et se détruit. Les symboles changent mais l’antisémitisme reste le même," rappelle-t-il.
Une loi aux niveaux européen et mondial
Alors que les actes antisémites se sont multipliés récemment en Europe et aux Etats-Unis notamment suite au dernier cycle de violences entre Israël et Gaza, Moché Lewin estime que la lutte doit se faire via l’instauration d’une loi à l’échelle internationale, permettant à la fois de prévenir les actes et de juger les auteurs.
"Quand on veut éradiquer un problème, on sait s'en donner les moyens. Le grand rabbin de France avait notamment demandé à ce que l’antisémitisme soit une cause nationale. La volonté du gouvernement, on n’en doute pas, mais il s’agit d’un problème au niveau mondial. La justice doit faire un travail spécifique à ce sujet et établir une réglementation européenne voire mondiale des réseaux sociaux," a déclaré Moché Lewin.
Le dialogue interreligieux pour lutter contre l’antisémitisme
Outre la pédagogie dans les écoles, les sanctions de la Justice et les condamnations, la nouvelle manière de lutter contre l’antisémitisme passe par le dialogue entre les communautés religieuses.
"Aujourd’hui, il n’y a plus de honte à être antisémite, c'est même la norme pour certains. Il faut donc les marginaliser en faisant de ce fléau l'affaire de toutes les religions et plus seulement celle de la commnauté juive," a-t-il dit.
"Il faut sensibiliser les représentants des autres religions afin qu’ils appellent leurs fidèles à se mobiliser contre les incidents antisémites. Le travail interreligieux est relativement nouveau, mais il a produit des résultats intéressants et nous devons poursuivre dans cette voie. Par la communication et la connaissance de l’autre, la responsabilité collective doit se mettre en place," a conclu Moché Lewin.
En 2020, 339 actes antisémites ont été officiellement recensés en France mais la haine antisémite sur Internet a culminé en décembre, pendant le concours de Miss France lorsque Miss Provence avait dévoilé ses origines israéliennes.
Caroline Haïat est journaliste pour le site français d'i24NEWS