Yom Hashoah: Henri Schilli, le rabbin courage des camps d'internement

Le père du philosophe André Neher, qui le connaissait, avait dit d'Henri Schilli: "A dix ans à peine, il avait déjà mérité sa place au Paradis"
"Dans la douloureuse obscurité du camp d'internement d'Agde, il a été mon premier rayon de soleil depuis que nous avions quitté l'Allemagne". C'est ainsi que la regrettée écrivaine Ida Akerman retrace sa première rencontre avec le rabbin Henri Schilli en 1940.
Ida avait alors 14 ans. Ses parents, originaires de Berlin, avaient fui l'Allemagne en 1938 et s'étaient installés, d'abord en Belgique, avant d'arriver en France en mai 1940 avec la débâcle de l'armée française. Comme des dizaines de milliers de réfugiés juifs allemands et autrichiens, ils avaient été internés par la police française dans le camp d'Agde, l'un des camps d'internements érigés par le gouvernement Daladier en 1938 à l'intention des combattants de la guerre d'Espagne.

Henri Schilli a été, avec son ami le rabbin René Kappel, le premier rabbin français à entrer en juillet 1940, dans ces camps d'internements déployés près du littoral de Languedoc Roussillon. Il avait un atout de taille: né près de Strasbourg en 1906, il parlait parfaitement l'allemand et pouvait donc communiquer avec les réfugiés juifs.
Qui plus est, il était pleinement capable de partager leur douleur: orphelin de père à 6 ans, il avait soigné sa mère avec dévouement avant que celle-ci ne succombe de la grippe espagnole en 1918 ! Le père du philosophe André Neher, qui le connaissait, avait dit d'Henri Schilli: "A dix ans à peine, il avait déjà mérité sa place au Paradis". A 12 ans, Henri Schilli découvre l'orphelinat mais se distingue à tel point qu'il reçoit la bourse pour étudier au Séminaire Rabbinique de France, sans même savoir parler un mot de français !

Nommé rabbin de plusieurs communautés parisiennes avant-guerre, il sera mobilisé en 1939, comme aumônier de la seconde armée française déployée dans les Ardennes. Après la débâcle, il est démobilisé et envoyé par le Consistoire central à Montpellier où des milliers de Juifs se sont repliés. C'est là, en zone libre, qu'il va organiser la communauté, développer des activités, et rassurer les plus inquiets.
Mais Henri Schilli va consacrer le plus clair de son temps à venir en aide aux réfugiés juifs des grands camps d'internements situés à Agde, Rivelsaltes ou Gurs. Les réfugiés juifs y sont internés par le gouvernement français, sous prétexte d'une loi de 1939 qui prévoit l'internement de tous les ressortissants de pays en guerre !
L'historien Denis Peschanski déplore "l'absurdité d'une situation qui voit les plus farouches adversaires du nazisme incarcérés dans ces camps". Même après l'armistice de Rethondes le 17 juin 1940, le gouvernement de Vichy maintiendra ses camps d'internement. Et pour cause: ils vont lui servir de réservoir humain où il "puisera" des milliers de réfugiés pour satisfaire, en particulier à partir de 1942, aux quotas de déportation allemands. Les conditions de détention sont dramatiques, le manque d'hygiène est effrayant.
En février 1941, on recense 40 000 juifs réfugiés dans ces camps d'internements du Sud de la France. Le rabbin Henry Schilli ne ménage pas ses efforts pour apporter un maximum de réconfort aux malheureux réfugiés juifs et il va se mettre en danger en intervenant auprès des autorités locales et médicales pour faire libérer en particulier les enfants, comme Ida Akerman, et les malades en se débrouillant, grâce a de généreux médecins, de faux certificats médicaux. Mais, même avec son dévouement et celui de ses collègues rabbins, cela s'avère insuffisant. Un exemple : entre juillet et septembre 1941, soixante enfants sur les cent quarante internés à Rivesaltes décèderont des suites des maladies qui sévissent dans le camp.
Après la rafle du Vel d'hiv en juillet 1942, la situation déjà dramatique des réfugiés juifs des camps d'internement va empirer. C'est en août que débutent les déportations massives de réfugiés juifs du Sud vers Drancy, et de la vers les Camps de la Mort. Henri Schilli n'a pas oublié le premier convoi, celui du 11 août 1942 de Rivesaltes vers Drancy. Raymond Heyman juif alsacien qui accompagnait le rabbin Schilli dans ses visites se souvient: "Nous nous tenions debout face à la porte ouverte d'un wagon de marchandises où se tenait un voisin de notre synagogue, Mr Orenstein, talith et téphilin au front. Il priait. Nous savions qu'il partait sans retour."
Dans le cadre de ses fonctions, Henri Schilli sera en contact étroit avec les réseaux de la Résistance et en particulier avec la Sixième, le réseau de résistants des éclaireurs israélites de France. Il fera lors de ces rencontres, la connaissance d'Alice Ferrières qui est la première Juste des Nations à avoir été désignée comme telle par le Yad Vashem après la Shoah.
Même lorsque les Allemands s'installent à Montpellier puis à Valence où il sera muté, Henri Schilli continuera d'aider les réfugiés et à sauver de nombreuses vies. En 1943, après la dénonciation et la déportation du grand rabbin René Hirshler qui était devenu l'Aumonier général des camps d'internements, Henri Schilli va assumer cette fonction qui l'expose à de multiples dangers. Les camps d'internements vont, peu à peu, se vider de leurs occupants, déportés vers l'Est, mais dans le sud de la France, des milliers de familles sont cachées soit chez l'habitant soit dans des lieux tenus secrets. Henri Schilli, sera là pour eux, parvenant même à leur fournir au nez et la barbe des Allemands, des matzot (pains azymes) pour la fête de Pessah !
Durant la seconde partie de la guerre, Henri Schilli et son épouse Simone seront séparés de leurs 3 filles qui iront s'installer en Savoie et seront hébergées et protégées, grâce au dévouement de Jeanne Brousse, nommée en 1994 "Juste des Nations". Durant toute la guerre, la famille Schilli sera accompagnée et épaulée par son "ange gardienne" Suzanne Aron, sœur d'un metteur en scène connu avant-guerre.
A la Libération, Henri Schilli va se sentir investi d'une mission "sacrée": restaurer le Judaïsme français qui a perdu un quart de ses membres durant les années de Tourmente. Il deviendra Aumônier général des EIF, enseignera aux enfants rescapés recueillis par l'OSE (Organisation du Secours des Enfants). Il sera nommé grand rabbin de France par interim au début des années 50 avec son ami le grand rabbin Jacob Kaplan. Il jouera un rôle déterminant dans la célèbre affaire des Enfants Finaly. Rabbin humaniste, il sera après-guerre de toutes les causes justes et se mobilisera contre l'exécution des époux Rosenberg. Il De 1950 jusqu’à sa mort en 1975, il sera le très dynamique directeur du séminaire rabbinique de France. Il formera deux générations de rabbins français dans un judaïsme religieux et de tolérance, d'ouverture et de dévouement. Sioniste de la première heure, il restera attaché à l'Etat d'Israël dont il a vu la naissance et qui l'éblouissait. Le Grand rabbin Henri Schilli a été l'une des figures majeures du Judaïsme français du XXe siècle.
A l'occasion de cette Journée du Souvenir, il était important de rappeler le souvenir de cet homme frêle d'apparence, mais si fort de convictions qui a su être présent au péril de sa vie, là où l'on avait besoin de lui!
PS: La biographie du grand rabbin Schilli a été publiée en 2018 sous le titre "De la tourmente à la reconquête"(Editions In Press)