France : sortie du film "Charlotte", hommage à la vie bouleversante de la peintre Charlotte Salomon
"Son art est magnifique et son histoire, incroyable", dit Marion Cotillard
Auteurs, artistes, anonymes : nul ne semble ressortir tout à fait indemne de sa rencontre avec la peinture de Charlotte Salomon. Après avoir découvert son travail, l’écrivain David Foenkinos s’était dit « hanté par elle », ressentant comme une urgence à raconter son histoire pour mieux la cerner intimement, et l’inscrire un peu plus au panthéon des artistes. De là était né le roman Charlotte, aussi singulier que bouleversant, couronné par le prix Renaudot en 2014.
La productrice Julia Rosenberg est, elle aussi, tombée sous le charme de Charlotte Salomon en découvrant son œuvre à l'âge de 13 ans. En 2011, alors qu’elle fait son jogging matinal, elle repense à l’artiste et imagine les contours d’un film d’animation pour rendre justice à sa vie et son art. Un projet qui aura mis un peu plus de dix ans à se concrétiser, et qui sort le 9 novembre dans les salles françaises.
Réalisé par Éric Warin et Tahir Rana avec comme producteurs exécutifs Marion Cotillard, Keira Knightley et Xavier Dolan, le film d’animation, baptisé sobrement « Charlotte », raconte la vie de cette artiste atypique en se basant sur son œuvre majeure La vie ? ou le théâtre ? Considéré comme le tout premier récit graphique, ce travail semi-autobiographique compte plus de de 700 peintures et croquis, certains avec texte, d'autres sans. Son caractère unique tient aussi à ce qu’il a été réalisé en seulement deux ans, Charlotte pressentant l’urgence imposée par la guerre et l’horreur nazie. "Je mettrai tout en moi dans cette œuvre. Tout ce qui est magnifique et tout ce qui est hideux", disait Charlotte. C'est peut-être justement cette oscillation constante entre souffrance et hymne à la vie, qui donne à son art une empreinte universelle qui touche tant.
L’art comme exutoire
La vie de Charlotte Salomon fait partie de celles qui n’ont besoin d’aucune fioriture romanesque pour être racontées. Toute la destinée de l’artiste porte en elle le caractère singulier et la tension dramatique qui font les histoires qu’on n’oublie pas.
Née à Berlin en 1917 dans un milieu aisé, Charlotte Salomon se découvre une vocation de peintre à un âge précoce. Son talent lui permet d’être admise dans la prestigieuse Académie des Beaux-Arts de la capitale allemande en 1936, alors que les lois discriminatoires contre les Juifs imposent aux établissements des quotas d’admission particulièrement restrictifs.
Mais c’est dans le sud de la France, où elle se réfugie après la funeste Nuit de Cristal, que son art s’épanouira véritablement. Déportée à Auschwitz en octobre 1943 alors qu’elle est enceinte, elle y sera assassinée peu de temps après, à l’âge de 26 ans.
Le biopic animé retrace le parcours de l’artiste, depuis ses études d’art contrariées par les persécutions nazies, jusqu’à son exil forcé en France où elle a rejoint ses grands-parents. Une vie placée sous le signe du drame, depuis les suicides multiples qui endeuillent sa famille, à l’inceste présumé commis à son encontre par son grand-père, jusqu’à ses amours douloureuses et l’horreur ultime de la Shoah. Charlotte n’aura ainsi connu que peu de répit, si ce n’est un bref bonheur auprès de celui qui deviendra son mari.
Le résultat : un film d’animation sensible, qui opte pour la mise en abyme en reprenant le style visuel de l’artiste. Une œuvre didactique également, puisqu’elle se veut aussi un outil de mémoire de la Shoah. Si certains critiques ont pu relever des lacunes dans les dialogues ou l’animation jugée « trop épurée », tous saluent un « travail utile », tant pour transmettre la mémoire, que pour faire connaître l’œuvre de Charlotte Salomon.
C’est aussi le sentiment de Marion Cotillard qui, outre son rôle de productrice exécutive du film, prête sa voix à Charlotte. Elle dit avoir été bouleversée par sa peinture et par son histoire.
« J’ai trouvé son art magnifique. Quant à son histoire, je l’ai trouvée complètement folle, incroyable ; cette si jeune femme qui aura vécu tant de choses sur une si courte période et qui aura libéré un art si poignant, si beau. C’est pour ça que j’ai eu envie de participer au film », a confié l’actrice au journal canadien Le Devoir. « Son art est puissant ; il fait vibrer, il émeut. Plus globalement, je pense que c’est important de mettre en lumière le travail des femmes artistes qui ont été laissées de côté par l’Histoire pour on ne sait quelle raison », a-t-elle encore noté.
Coproduction internationale française, canadienne et belge, le film a été projeté en première mondiale au Festival international du film de Toronto en septembre 2021, et a reçu plusieurs prix au Canada.
Hélène Schoumann, présidente du Festival de cinéma israélien à Paris et qui possède un prix au Festival de cinéma de Jérusalem, se réjouit de la sortie en salles de « Charlotte ». Elle qui a « adoré » le film et souhaitait vivement qu’il figure dans l’une des sélections de son festival, regrette de s’être heurtée au refus des vendeurs du film à l’international. « C'est un film émouvant, qui porte ce contraste entre l’atroce réalité qu’il raconte, et la douceur des contours et des couleurs de l’animation. Je connaissais l'histoire de cette jeune peintre et de son destin brisé qui renvoie à celui d’Hélène Berr ou Anne Frank... », dit-elle. Saluant les voix françaises du film « qui lui ajoutent de la magie », elle souligne que "Charlotte" a été nominé pour le prix Schoumann au dernier Festival de cinéma de Jérusalem.
Tous ceux qui connaissent l’œuvre de Charlotte Salomon s’accordent à le dire : malgré plusieurs pièces de théâtre, un opéra, un ballet, un roman, un documentaire et un long métrage inspiré de sa biographie, ni la vie de la peintre ni son art n'ont jamais reçu l'attention qu'ils méritaient. Espérons que « Charlotte » contribue à changer cet état de fait, et jette un coup de projecteur décisif sur son exceptionnel talent.