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Stress et anxiété face à la guerre : comprendre (et revoir l'émission d'i24NEWS)
Invité sur i24NEWS, le psychiatre et psychanalyste Michael Larrar a répondu aux interrogations des téléspectateurs. Dans cet article la vidéo de l'émission.
"Ma fille de 15 ans ne mange plus et ne dort plus à cause de ce qu'il se passe en Israël. Comment l'aider ?" Des questions de parents démunis telle que celle-ci assaillent les psychologues d'Israël, de France et d'ailleurs depuis les attaques du Hamas le 7 octobre. Invité sur i24NEWS au micro de Nathalie Nagar dans une émission spéciale, le psychiatre et psychanalyste Michaël Larrar a répondu aux interrogations des téléspectateurs, et donné quelques conseils afin de faire face aux difficultés émotionnelles et psychologiques engendrées par la situation sécuritaire.
Ma fille de 15 ans ne mange plus et ne dort plus à cause de ce qu'il se passe en Israël. Comment l'aider ?
Michaël Larrar : Il faut avant tout aider les enfants à verbaliser leur ressenti. En dehors des réactions communes évidentes qu'ils expriment face aux nouvelles et aux images auxquelles ils sont confrontés, ils ont également des perceptions et des difficultés qui leur sont propres, et qu'il faut savoir écouter. Un adolescent qui réagit en cessant de se nourrir peut éventuellement exprimer un traumatisme plus ancien, ou des angoisses de mort qu'il avait peut-être déjà. Il y a également souvent une notion de culpabilité chez les ados, résidu de mécanismes infantiles qui poussent les plus jeunes à croire que le monde dépend un peu d'eux, et qu'un mauvais comportement de leur part risque de provoquer des choses négatives, comme une sorte de punition.
Dans un premier temps, on va donc s'asseoir tranquillement avec son enfant en l'interrogeant sur ce qu'il ressent, mais en le laissant surtout mener la discussion. Puis dans un second temps, on va tâcher de traquer les croyances infondées qu'il peut avoir.
Le choc traumatique, c'est quand notre plus grande peur se concrétise, et c'est exactement ce qui s'est passé pour chaque citoyen israélien. Tout le monde est donc en état de traumatisme. Face à cela, on dégage deux attitudes. Certaines personnes vont gérer par l'action, "ils font et ils verront plus tard", tandis que d'autres sont figés dans leur angoisse et deviennent irrationnels. Avec ce qui s'est passé, il est devenu difficile de convaincre que telle ou telle peur est irrationnelle parce que le pire, l'impensable est arrivé, balayant toutes nos certitudes internes.
A quel moment sait-on qu'on a réussi à rassurer son enfant ? Comment fait-on pour rétablir la confiance entre parents et enfants ?
Quand les enfants ont moins de dix ans, leur mal-être est très visible, il est impossible de passer à côté. Ils deviennent agressifs, ou bien ont peur de tout, mangent ou dorment moins bien, ils n'ont plus envie de jouer ni de s'intéresser à ce qui les entoure. Mais dans la situation actuelle, il est difficile de les rassurer à long terme parce que la sécurité du pays n'est pas encore rétablie. Il faut donc leur parler régulièrement et les rassurer aussi sur notre propre état, qui peut aussi être une source d'angoisse. Il faut leur dire : "Tu vois les premiers jours c'était difficile pour moi comme pour tout le monde, mais maintenant j'ai compris ce qui se passe et je vais t'expliquer. A partir de 4, 5 ou 6 ans, les enfants ont aussi besoin qu'on leur fournisse des éléments de réalité. On ne peut pas leur cacher tout ce qui se passe. On va donc leur donner des versions supportables, qui seront évidemment édulcorées. Il vaut mieux, d'ailleurs, que ce soit le parent le plus calme qui s'en charge, car nos enfants sont très attentifs à l'angoisse que nous pouvons exprimer lorsque nous racontons les choses.
Il faut aussi travailler sur leurs peurs spécifiques et leurs croyances infondées, générées par la dimension traumatique. Ils vont, par exemple, être persuadés que n'importe qui peut entrer chez eux et les tuer. Dans ce cas, il faut leur dire : c'est normal que tu aies de telles pensées, c'est parce que tu as eu peur. Mais maintenant je vais te dire pourquoi il n'y a pas de raison que tu aies peur comme ça. On peut par exemple dire aux enfants qui habitent en France que Gaza est très loin, et pour ceux qui vivent en Israël, leur parler du rapport de forces sur le terrain : leur dire que l'armée du pays est très forte, équipée et préparée, face à un ennemi qui n'a rien voir ni en nombre ni en puissance. Cela permet de donner aux enfants des éléments de contrôle intellectuel.
Comment parler à nos enfants soldats qui se trouvent sur le front ?
Lorsqu'on dispose de seulement cinq minutes pour parler à son enfant qui se trouve sur le front, comme c'est souvent le cas, le message le plus important à lui transmettre est que les choses à la maison vont bien. C'est la chose la plus importante qu'il doit entendre. Cela lui permet d'avoir l'esprit clair et de pouvoir se concentrer, sans avoir de soucis en plus. Il ne faut pas insister sur l'inquiétude qu'on a pour lui, car il le sait déjà. Il faut lui donner le sentiment qu'on gère la situation de notre côté et qu'on tient le coup.
Les parents d'enfants mobilisés ne doivent pas hésiter, par ailleurs, à se faire aider par un thérapeute ou même par des médicaments. Prendre des anxiolytiques ou des antidépresseurs ne doit pas faire peur. Cela permet de faire baisser son niveau d'anxiété et donc, par ricochet, l'état de tension de ceux qui nous entourent. On ne doit pas non plus redouter de développer une dépendance à ces médicaments. On peut sans problème prendre un traitement pendant un ou deux mois et l'arrêter ensuite très facilement.
Enfin, il ne faut absolument pas culpabiliser de se détendre devant une série, un film ou autre. Le psychisme a absolument besoin qu'on lui injecte du plaisir, parce que le plaisir c'est de la force.
Comment faire pour que les enfants retournent à leur routine ?
Le retour à l'école doit se faire en restant à l'écoute de son enfant. S'il a peur, il ne faut pas le forcer à y aller du jour au lendemain, mais faire les choses de manière progressive, par exemple en se promenant avec lui dans les environs de l'école, afin de le préparer doucement à y retourner.
Je ne cesse de penser à la situation des otages et aux risques qu'ils encourent. Que puis-je faire ?
Pour éviter que les pensées noires ou morbides prennent le dessus, il ne faut pas laisser son psychisme inactif, car c'est quelque chose qu'il déteste. Nous sommes dans une période où nous devons nous forcer à faire des choses, que ce soit travailler ou bien se rendre utile de quelque manière que ce soit. Aux jeunes mamans qui passent beaucoup de temps à la maison, je conseille d'être encore plus active vis-à-vis de leurs enfants, notamment de jouer encore plus avec eux, pour s'occuper l'esprit.
Comment rétablir le sentiment de sécurité vis-à-vis d'Israël, considéré jusque-là comme le pays refuge de tous les Juifs ?
Il sera toujours possible de se réfugier en Israël. C'est un Etat fort et surtout c'est l'Etat des Juifs, le pays où ils sont chez eux et d'où on ne pourra jamais les chasser. En France, ou ailleurs, on peut souffrir d'antisémitisme et avoir le sentiment que la société ou l'Etat ne nous soutient pas, voire qu'il nous "livre à la meute". En Israël, il peut y avoir des guerres ou des attentats, mais quoi qu'il arrive, on affronte ça ensemble. Après la guerre, il devra aussi y avoir impérativement un travail de la part de l'Etat afin de restaurer la confiance avec ses citoyens.