France : Comment les responsables politiques se préparent à la tempête Le Pen
Dans tous les états-majors en 2024, une même question se pose désormais : comment faire pour empêcher Marine Le Pen de s'installer dans le bureau présidentiel à l'Élysée ?
Quand une violente tempête s'annonce, on en perçoit les effets annonciateurs dans les enclos, les fermes et les parcs zoologiques : les animaux perçoivent les premières ondes de la perturbation atmosphérique qui arrive. Il en est de même en observant le tremblement qui saisit les fauves politiques depuis la publication d'un sondage choc, récemment réalisé par l'IFOP : il donne Marine Le Pen gagnante au second tour de l'élection présidentielle quel que soit l'adversaire testé : Édouard Philippe, Gabriel Attal, François Hollande, Xavier Bertrand. Tous les putatifs adversaires de la candidate du RN sont battus.
À quelques semaines d'un scrutin européen qui devrait - sauf surprise - consacrer la victoire de la liste Rassemblement National de Jordan Bardella, cette étude sur les intentions de vote pour 2027 provoque la stupéfaction : dans tous les états-majors en 2024, une même question se pose désormais : comment faire pour empêcher Marine Le Pen de s'installer dans le bureau présidentiel à l'Élysée ? En fait, c'est cette sidération politique qui est stupéfiante. Les dirigeants politiques français se déclareront dès le 9 juin "déterminés à tout faire pour empêcher la victoire de l'extrême droite en 2027". Sérieusement, comme disent les jeunes ? Grande découverte chez les politiques : Marine Le Pen peut devenir présidente de la République.
La présidente de l'Assemblée Nationale, Yaël Braun-Pivet, pense aussi à la présidentielle en se coiffant
À trois ans de l'échéance, la réponse à cette question est similaire dans ces mêmes états-majors : personne ne fait entendre la moindre idée. Dans la discrétion des déjeuners et autres conciliabules, certaines personnalités avouent ou laissent entendre leur tentation d'incarner l'opposition providentielle à une Marine Le Pen installée de façon égale dans les différentes couches de la société. En comité très restreint, l'ancienne première ministre Élisabeth Borne fait savoir que désormais elle fait de la politique et qu'elle ne souhaite plus être considérée comme une "techno" avec pour seul horizon la direction d'une entreprise publique. Premier défi : Élisabeth Borne lorgne sur la direction du Parti Renaissance, actuellement tenu par Stéphane Séjourné, en stage ministériel intensif au Quai d'Orsay. La suite, pour la représentante de la Macronie de gauche écrasée par le mouvement perpétuel droitier du président et du gouvernement, dépendra de cette étape politicienne.
De son côté, la présidente de l'Assemblée Nationale, Yaël Braun-Pivet, pense aussi à la présidentielle en se coiffant. Elle qui n'a jamais fait entendre sa déférence à l'égard d'Emmanuel Macron exprime désormais ses divergences face aux choix présidentiels, en n'hésitant pas à s'attaquer au dogme de la stabilité fiscale imposé par le président, pour répondre à une situation plus qu'alarmante des finances publiques. Les plus hauts revenus doivent contribuer, le peuple est en colère et la révolte populiste gronde. Les bruits de botte sont de plus en plus perceptibles. Passons sur le fait que pour ces deux femmes dignitaires du régime macroniste, leur considération pour le supposé dauphin Attal est assez faible. Ce dernier, persuadé que son bail à Matignon ne dépassera pas Noël et que le gouvernement pourrait chuter sur le budget à l'automne, s'attache surtout à cultiver son image d'autorité, son capital confiance pour l'avenir au cas où...
Dans les lambris du Sénat, Gérard Larcher observe et analyse avec la patience du chasseur qui ajuste son coup. Il devra immanquablement atteindre sa cible : Matignon, selon quelques visiteurs du soir du président du droitier Sénat. Des caciques de l'union nationale, Manuel Valls, Xavier Bertrand, François Hollande se plaisent à rêver d'une entente entre candidats républicains, dirigeants expérimentés, une sorte de groupement sur le mode des Vieilles Canailles quand Dutronc, Mitchell et Hallyday démontraient leur capacité à enflammer les salles malgré leur âge. Au répertoire : Tous unis contre Marine Le Pen. Intellectuellement, ce refrain politique séduit. Le problème commence lorsque la question se pose : qui pour être le candidat ? Les regards se perdent, les esquives fusent. C'est inavouable mais c'est ainsi : le « tous unis derrière moi » est un principe qui n'a pas dit son dernier mot. « L'égologie » est une valeur qui reste à la hausse.
Tous unis contre Marine Le Pen. Intellectuellement, ce refrain politique séduit. Le problème commence lorsque la question se pose : qui pour être le candidat ?
Lors de ses « small talks » pendant ses voyages, Édouard Philippe se montre confiant dans sa capacité à battre Marine Le Pen même s'il n'y a pas la moindre idée encore sur la table. Tout juste évoque-t-il le besoin d'élargir à gauche pour jeter les bases d'une coalition…
Le mouvement le plus tranchant qui se prépare pour le lendemain des élections européennes de juin concerne la Nupes et la LFI. Le scrutin européen devrait entériner la mort du cartel électoral construit par Jean-Luc Mélenchon et détruit par le même personnage. Parti dans une dérive autocratique avant le 7 octobre, le pogrom du Hamas a agi comme un électrochoc sur le leader maximo des Insoumis : depuis, il a décidé de ghettoïser la question sociale et veut faire le lien entre les bobos woke des campus et les habitants des quartiers populaires : son ciment est la cause antisioniste et antisémite. Son agent traitant est Rima Hassan, activiste chargée d'échauffer les électeurs d'origine musulmane.
Une scission se prépare à LFI selon nos informations, elle devrait se déclencher au lendemain des européennes
C'est le clivage de trop pour les dissidents au sein de LFI qui ne veulent plus cautionner cette logique mortifère et totalitaire portée par Mélenchon. Une scission se prépare selon nos informations, elle devrait se déclencher au lendemain des européennes, lorsqu'une lignée d'insoumis prendra acte que Jean-Luc Mélenchon ne sera plus en situation, selon ces conjurés, de rassembler la gauche - et encore moins les Français - face à Marine Le Pen. L'offensive de la gauche anti-Mélenchon aura des répercussions jusque chez les socialistes. Cela promet quelques règlements de comptes à gauche, le bruit et la fureur, chers à Mélenchon, ne sont pas prêts de s'atténuer. Le chef des Insoumis va se retrouver face à son pire ennemi, lui-même. Pendant ce temps, le compteur tourne. Selon un fin connaisseur de la vie politique française, "la présidentielle de 2027 n'aura qu'un seul enjeu : qui peut battre Marine Le Pen ? Les questions de fond, une fois de plus depuis plus de vingt ans, ne seront pas abordées".
À cette heure, selon le sondage IFOP, personne ne semble être en mesure de pouvoir inquiéter Marine Le Pen pour l'élection présidentielle prévue en 2027. Sur le calendrier, trois ans, c'est long. En termes d'horloge politique, cela représente 60 minutes.